Souvenir de luttes

Freddy Visconti, le .

 

À la FN d’Herstal, les « femmes-machines » ont porté haut l'étendard de l'égalité

Il y a 50 ans les femmes de l'usine Fabrique Nationale à Herstal démarraient une grève qui allait durer du 16 février 1966 au 5 mai. Cette grève est devenue le symbole de la lutte des femmes. Elle s’étendra à d’autres entreprises et suscitera un vaste mouvement de solidarité à travers l’Europe. Théoriquement, le « traité de Rome » prévoyait en 1957 un alignement des salaires dans les 5 ans et en Belgique, des négociations avaient eu lieu en 62 et en 65. Mais les patrons freinaient au maximum et la mise place s’avérait très difficile. Si l’écart avait été réduit, non seulement il subsistait, mais en plus, les femmes restaient (et restent) souvent cantonnées dans des catégories de métiers sous valorisées.

FEMMES HERSTALLa F.N. employait 13.000 travailleurs en 1966, dont 3.900 femmes. Ces ouvrières occupaient le bas de l’échelle : le travail des « femmes-machines » se faisait dans des conditions pénibles, sans aucune sécurité (huiles toxiques, bruit, manque d’hygiène, absence de vêtements de protection). Il y avait beaucoup de blessées. Lorsqu'elles rentraient à la maison, les enfants leur disaient « Maman, tu sens mauvais l'huile ». « La chaleur était insupportable. Elle pouvait monter jusqu'à 50°, 60° parfois. Elles travaillaient, les bras dans une huile hautement toxique avec des projections dangereuses. Pour se protéger, elles devaient endosser de lourds tabliers qui rendaient la chaleur plus pénible encore. Pour avoir un peu de fraîcheur, elles mettaient de l'eau dans leurs sabots. Des courroies pendaient du plafond et provoquaient régulièrement des accidents. »1

À l’époque, l’ouvrier le moins qualifié qui entrait à la F.N. était payé directement en classe 4 et pouvait régulièrement progresser ; par contre, les femmes se répartisseaint dans les classes 1 à 3 et ne pouvaient espérer monter plus haut puisqu’elles ne suivaient pas les formations internes à la F.N. ! Les femmes restaient sous-représentées : elles constituaient 30% de la main-d’œuvre, il n’y avait que 7% de déléguées2.
Révoltées par l'injustice, elles veulent un salaire juste et réclament une augmentation de 5 francs l'heure. Mais rapidement leur slogan deviendra : À TRAVAIL ÉGAL, SALAIRE ÉGAL. À partir de mars, la grève fait tache d’huile, des travailleuses de Jaspar-Westinghouse, des Acec (Herstal et plus tard Charleroi), des ateliers Schréder partent en grève. Le 25 avril sera un point culminant de leur lutte avec une manifestation de plus de 5000 personnes dans les rues de Liège. Des travailleuses des Acec, des banques, des grands magasins ont arrêté le travail pour y participer. On y rencontre aussi des organisations féministes, des syndicalistes de tout le pays et même d’Europe. Après 12 semaines de lutte, un accord est adopté, elles obtiennent 2 francs, tout de suite et 75 centimes au premier janvier suivant. Mais elles auront enfin obtenu une reconnaissance. Elles auront marqué l'histoire syndicale.

Des politiques leur ont apporté leur soutien, c'est le cas notamment de Suzanne Grégoire, militante du Parti Communiste de Belgique (PCB), conseillère communale de Herstal qui soutiendra le comité de grève dés la première heure. Elle avait d'ailleurs été à ses débuts, ouvrière à la FN et y avait commencé son parcours de militante communiste. Le 8 octobre 1966, elle sera élue trésorière du comité "À travail égal, salaire égal"3. Ce Comité indépendant a été peu soutenu par les syndicats ou les associations féminines.

Aujourd’hui, 50 ans plus tard, le monde du travail a évolué, notamment pour les femmes. Mais force est de constater que de nombreuses discriminations existent encore. On pense au plafond de verre ou aux classifications de fonction. L’écart salarial existe encore, on l’estime en moyenne à 22% mais c’est grâce au combat acharné qu’ont livré les ouvrières de la FN qu’il a été fortement réduit. À travail égal, salaire égal, un slogan qui évoque une page de l’histoire ouvrière mais qui reste toujours d’actualité.

(1) Jean Marc Namotte, fils d'un régleur de la FN
(2) hachhachhh.blogspot.be.
(3) Freddy Guidé in http://nouvellesduprogres.skynetblogs.be/

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