Tours, décembre 1920 Le congrès de fondation du PCF : un anticolonialisme balbutiant
Alain Ruscio[i]
En juillet-août 1920 s’était tenu à Moscou le IIe congrès de l’Internationale communiste, qui avait retenu 21 conditions exigées de chaque section nationale pour être reconnue. Y compris la célèbre huitième : « … dévoiler impitoyablement les prouesses de “ses“ impérialistes… soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d'émancipation… exiger l'expulsion des colonies des impérialistes de la métropole… nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés…entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression… ».
Ce texte était accessible à tous. Les enjeux du XVIIIe congrès national, qui s’ouvrit à Tours le lendemain de Noël 1920 étaient de ce fait clairs et connus – ou auraient dû l’être. La nuit finit à Tours… Ce fut le titre d’un ouvrage de propagande, très en vogue au sein du PCF des années 1950 aux années 1970[ii], bien dans la veine d’une vision manichéenne de l’histoire : des ténèbres à l’aube. Dans le domaine colonial, ce ne fut pas le cas.
Certes, ce congrès fondateur est entré dans l’histoire de l’anticolonialisme français par la présence, ô combien symbolique, d’un certain Nguyen Ai Quoc, le futur Ho Chi Minh. Qu’avait dit, ce jour-là, ce jeune (30 ans) Annamite ou Indochinois (c’est comme cela qu’on persistait alors à nommer les Vietnamiens) ? « Nous voyons dans l’adhésion à la III è Internationale la promesse formelle du Parti socialiste de donner enfin aux questions coloniales l’importance qu’elles méritent ». Chaque formule était soigneusement choisie : « … promesse formelle… enfin… questions coloniales… méritent… ». A-t-il été écouté ? Entendu ? Ce n’est pas certain.
Un homme, pourtant, a tendu l’oreille, a compris qu’une dimension nouvelle, l’anticolonialisme, devait s’ajouter aux combats à venir : Paul Vaillant-Couturier, son voisin, à Tours. Naquit à ce moment une amitié qui ne sera brisée que par la mort de Vaillant. Suivit alors un échange acide entre Jean Longuet et Paul Vaillant-Couturier. Échange a priori inégal : le premier, âgé alors de 44 ans, petit-fils de Karl Marx, était une figure historique et respectée du socialisme français, le second un jeune (28 ans) inconnu. Longuet, se sentant visé, ayant cité, comme illustration de son engagement, ses interventions parlementaires, se fit sèchement remettre en place par Vaillant : « Ce à quoi notre camarade (Quoc) fait appel aujourd’hui, ce n’est pas seulement à cette action parlementaire, mais à celle de tout le congrès en faveur des nations opprimées ». Le 29, une nouvelle passe d’armes, plus significative encore, opposa les deux hommes.
National ? Universel ?
Vaillant-Couturier, lors de son allocution, avait affirmé que la révolution ne pouvait être seulement « française », mais « mondiale », puis avait fait de nouveau référence au « camarade indochinois ». S’interrompant : « Vous souriez, Longuet ? (…). Vous souriez quand je fais appel au témoignage du camarade indochinois… » Longuet, piqué au vif, rétorque : « Je souris de l’idée que c’est sans le prolétariat d’Europe que vous feriez la révolution ». Vaillant : « Tous les coups portés à un impérialisme sont des coups portés au capitalisme de tous les pays ». Un délégué : « C’est absurde ». Vaillant : « Ce qui est absurde, c’est de ne pas nous tourner vers l’ensemble du mouvement mondial, dans une époque où tout tend vers l’universel ».
Débat intense quant à son contenu, mais fort bref. Et qui ne doit pas masquer la forêt de l’indifférence, encore (largement) majoritaire à Tours. Car ce furent là les seules références à la question coloniale de ce congrès fondateur.
Une question vient immédiatement à l’esprit : et l’Algérie ? Les délégués des trois fédérations SFIO avaient voté de façon massive en faveur de l’adhésion à la III è Internationale. Or, une constatation est cruelle : ce Parti qui s’exprimait au sein de la seconde puissance coloniale du monde, ce Parti dont les militants appelaient sans cesse les damnés de la terre à se lever, qui était en train de prendre l’engagement de « soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies », ne délégua aucun indigène de sa plus ancienne colonie. De plus, la question algérienne fut totalement absente. Une intervention d’André Julien (le futur historien qui adopta plus tard le prénom de Charles-André) avait bien été prévue, le 28 décembre au matin. Mais elle fut annulée, suite à la lecture par André Le Troquer, favorable à la « vieille maison », d’un télégramme de l’Internationale, signé par son Secrétaire général, Zinoviev, interdisant tout compromis sur les 21 conditions. Le débat, dès lors, ne porta plus que sur ce télégramme.
Mais, à la réflexion, ces limites n’étaient-elles pas dans l’ordre naturel des choses ? Un parti social-démocrate, même héritier des belles traditions jaurésiennes, pouvait-il en un congrès donner naissance à un parti révolutionnaire ? Il faudra bien des combats internes, où se démenèrent des colonisés (Nguyen Ai Quoc, mais aussi le trop oublié militant algérien Abd el Kader Hadj Ali…), des jeunes militants de métropole (Vaillant-Couturier, déjà nommé, Robert Louzon…), il fallut aussi des remarques et des menaces sévères de l’Internationale pour que la mue commence. Quatre années encore et la première épreuve vint : la lutte contre la guerre du Rif (nord du Maroc), de 1924 à 1926, premier vrai combat anticolonialiste du jeune PCF.
[i] Historien. Dernier ouvrage paru : Quand les civilisateurs croquaient les indigènes… Dessins et caricatures au temps des colonies, Paris, Éd. Cercle d’Art, 2020.
[ii] Jean Fréville, Paris, Éd. Sociales, 1950.