Un pari jugé impossible et cependant gagné

Marc TONDEUR, le .

En 1959, année de la victoire de la Révolution, la situation sanitaire de l’île était plus que préoccupante. Le dictateur Batista ne s’était guère préoccupé de la santé de la population qui devait recourir aux consultations privées payantes, chères pour les pauvres. A Cuba comme ailleurs en Amérique Latine les campagnes étaient des déserts médicaux. Les choses se sont aggravées les années suivantes car une bonne partie des médecins “libéraux” qui constatèrent que désormais leur métier ne pourrait plus les enrichir choisirent d’émigrer en Floride.

La santé nationalisée, elle devint gratuite et des facultés de médecines surgirent dans plusieurs provinces. Et déjà dans les années ‘60 Cuba envoyait des médecins dans les pays amis, entre autres en Algérie indépendante depuis peu. En quelques années Cuba devint le pays où le ratio médecin/habitant était le plus élevé, avec 8,3 médecins pour 1000 habitants (3,07 pour la Belgique ; 2,61 pour les USA ; 1,56 pour le pays voisin, la République Dominicaine ; 0,07 pour le Sénégal). Le ration 8,3 médecins pour 1000 habitants, c’est plus que nécessaire pour un gouvernement qui a choisi de mettre l’accent sur la médecine préventive. Cuba a lancé des programmes de coopération tous azimut couvrant une centaine de pays, gratuitement pour les pays les plus pauvres.

Des milliers de médecins cubains ont travaillé au Venezuela, en Bolivie, au Mexique, au Pérou, au Brésil, en Equateur. L’accord consiste à verser pour les services rendus l’équivalent du salaire perçu par un médecin du pays travaillant dans le service public, non pas au médecin volontaire mais au gouvernement cubain qui lui ristourne environ le tiers (on pourrait dire qu’il s’agit d’un impôt de 60 à 70 %). C’est ainsi que les rentrées dues aux médecins cubains sont supérieures aux bénéfices du tourisme (avant la pandémie), supérieures également aux “remesas”, c’est-à-dire l’argent envoyé par la famille partie à l’étranger (USA surtout). Fidel Castro avait vu juste : en l’absence de ressources géologiques exportables, l’idée de former des cerveaux et les exporter est géniale. Les médecins s’empressent de s’inscrire pour partir en “mission” et attendent impatiemment leur tour.

En 1999, tout juste sorti de “El Periodo Especial en tiempo de paz”, c’est-à-dire une économie de guerre suite à l’agonie puis la fin de l’URSS, le gouvernement crée l’ELAM (Escuela Latinoamericana de Medicina), réservée à des étudiants méritants d’une centaine de pays, y compris des Etatsuniens des minorités disposés à travailler dans leurs communautés et sans but lucratif (une dizaine par an). C’est la plus grande faculté de médecine du monde, avec plus de 10 000 étudiants.

Mais ce qui étonne tout le monde aujourd’hui, ce sont les déclarations du gouvernement cubain que la biotechnologie cubaine sera en mesure de commencer en mars à vacciner sa population contre le Sarscov-2 avec deux vaccins appelés Soberano-1 et Soberano-2 (Souverain). Résultat spectaculaire en temps de pandémie, mais en réalité cela fait 35 ans que Cuba avait compris que le génie génétique et les biotechnologies étaient deux secteurs essentiels pour garantir sa souveraineté et pour commercer des produits de très haute valeur ajoutée. Aujourd’hui le CIGB (Centro de Investigacion Genetica y Biotecnologia) emploie plus de 10 000 personnes réparties sur plusieurs centres. Il produit des protéines à vocation thérapeutique, des vaccins exportés depuis 15 ans (hépatite B), de l’interféron antiviral, du maïs génétiquement modifié et une foultitude de produits utilisés sur place mais également exportés. Ce serait la quatrième source de devises. Fidel a eu du flair.

On peut s’attendre à ce que Cuba, offre son vaccin à ses amis les plus pauvres. Ces pays se souviendront longtemps que les pays riches d’Europe et d’Amérique du Nord non seulement n’ont rien offert, mais n’ont même pas consenti à vendre une partie de la production, accaparant tout ce qui sort des usines Pfizer, Moderna et AstraZeneca.

Le système capitaliste démontre une fois de plus sa nature : égoïste, mercantile, impitoyable. Il se réfugie derrière son Veau d’Or : le Marché.

 

Le Prix Nobel pour la brigade médicale cubaine !

La pandémie a été l’occasion pour Cuba de s’illustrer à nouveau. Pour y faire face, des milliers de médecins cubains s’engagent dans la Brigade médicale international "Henry Reeve"*. Ils prêtent ainsi main-forte au personnel soignant local de divers pays. Pas moins de 55 brigades ont été ou sont encore actives dans 40 pays. Composée de volontaires spécialisés dans la gestion des catastrophes et des épidémies, cette brigade est née le 19 septembre 2005, dans le but de proposer son aide au gouvernement des Etats Unis pour faire face aux dégâts causés par l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans. Arrogant, le président Bush ne daigna pas de répondre. Depuis lors, ils ont soigné près de quatre millions de personnes et sauvé la vie de 93 000 autres lors de catastrophes naturelles et d’urgences sanitaires. Leurs efforts en Afrique de l’Ouest, frappée de plein fouet par le virus Ebola, sont reconnus dans le monde entier.

C’est en vertu de cet engagement internationaliste que le Contingent Henry Reeve a été proposé pour le prix Nobel de la Paix. En Belgique l’initiative a été portée par les députés Bert Anciaux (sp.a), Raoul Hedebouw (PTB) et André Flahaut (PS).

*Henry Reeves est un soldat américain qui s’engagea avec les patriotes cubains dans la guerre d’indépendance contre l’Espagne.

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