Michel Collon : « nos dirigeants n’ont pas l’esprit scientifique et n’ont pas fait l’effort de comprendre »
Volontairement confiné, Michel Collon a investi sept mois à temps plein pour nous proposer un ensemble d'analyses, questionnements et réflexions à propos de la crise sanitaire en cours. Son livre « Planète malade » comporte un tome de 40 entretiens avec des personnalités du monde scientifique, politique, médiatique, hospitalier et un tome d’enquête personnelle (Dont Jean Ziegler, Rafael Correa, Laurent Laforgue, John Catalinotto, Sophie Merckx, Alfredo de Zayas pour les plus connus). Pour alerter et dénoncer car les conséquences de cette crise auraient pu être bien moins graves, notamment en perte de vies, si nos responsables politiques avaient fait preuve de plus de responsabilité pour la santé de leurs administrés et de moins d'allégeance envers les puissants intérêts économiques qui agissent en coulisse. Vétéran de tant de batailles, en voilà une de plus, Michel nous rend compte de sa dimension et de ses perspectives. Le DR se réjouit de lui ouvrir ses pages.
Le Drapeau Rouge.- Même si les médias dominants restent assez discrets à ce sujet, il y a une énorme différence entre le bilan des victimes de la Covid 19 dans les puissances occidentales et dans certains pays d'autres continents. Comment expliquez vous ces résultats si contrastés ?
Michel Collon.- Leur refus de comparer est en effet saisissant. D’un côté, l’Europe et les USA, soit environ 700 millions d’habitants, déplorent plus de 700.000 décès à ce jour (davantage en fait, les statistiques US sont manifestement sous-estimées). De l’autre côté, sept pays (pour un total de 1,52 milliard d’habitants) comptent seulement 7.000 morts. Cent fois moins de décès ! Mon livre analyse pourquoi ils ont réussi là où les pays les plus puissants ont échoué.
Le DR.- De quels pays parlez-vous ? La Chine sans doute…
M.C.- Oui. Quatre mille décès seulement alors qu’elle a été la première à affronter ce virus nouveau et complexe. Mais aussi le Vietnam, l’État indien du Kerala (dirigé par un gouvernement communiste), le Vietnam, Cuba, le Venezuela. Tous ont remarquablement limité les pertes…
Le DR.- Quel est leur secret ?
M.C.- En analysant leurs expériences, je suis arrivé à la conclusion que la stratégie la plus efficace combine sept méthodes qu’il faut appliquer comme un ensemble : 1.Réagir tout de suite. 2.Contrôler immédiatement les voyageurs. 3. Dépister et tracer systématiquement. 4. Tester massivement. 5. Des équipes sanitaires dans les quartiers pour détecter, tracer, conseiller, soutenir concrètement et moralement. 6. Des aides matérielles aux personnes en quarantaine. 7. Confiner seulement de façon ciblée. Donc en fait, ils ont placé la santé et la vie des gens avant l’économie. Ils ont mis rapidement les entreprises à l’arrêt quand c’était nécessaire et le paradoxe, c’est que leurs économies ont beaucoup moins souffert et redémarré bien plus vite.
Le DR.- En « bons élèves », vous ne voyez que des pays socialistes ?
M.C.- Je pense que c’est en effet le premier point du bilan : oui, le système socialiste a montré sa supériorité car il a placé l’homme et non le profit au coeur de sa stratégie ; en outre, face à une crise de cette ampleur, le service public est bien plus efficace que le privé qui n’agit que s’il y trouve un profit et qui agit dans le désordre.
Le DR.- Était-ce impossible pour un pays capitaliste d’adopter une bonne stratégie ?
M.C.- Non. En Nouvelle Zélande, le gouvernement Arden a pris la menace tout de suite au sérieux, a étudié l’expérience chinoise et appliqué les recommandations de l’OMS. Son bilan est remarquable également. J’ai aussi analysé la Corée du Sud, Singapour et divers pays asiatiques qui ayant tiré les leçons de l’épidémie du coronavirus en 2003, s’étaient préparés et s’en sont bien sortis.
Le DR.- Je reviens alors à ma question de départ : pourquoi la France et la Belgique n’ont-elles pas suivi l’exemple de la Chine et des autres pays ?
M.C.- À ce stade, je ne peux donner une réponse définitive. Il faudrait publier les archives des discussions entre les administrations et les experts. Les contradictions ont été très fortes dans certains pays et mon livre les étudie. C’est évidemment la question-clé, les populations ont le droit de savoir pourquoi elles ont été si mal protégées. Les chercheurs que j’ai interviewés ont confirmé mon impression : 80 à 90 % de nos décès étaient évitables si nos gouvernants avaient réagi vite et fort au lieu d’attendre et d’hésiter avant d’adopter des demi-mesures. C’est comme pour un incendie : plus vous attendez, plus il trouve du combustible, et plus il fera de dégâts.
Le DR.- Un chapitre au début de votre livre s’intitule « Pourquoi on a perdu deux mois avant de réagir ». Ils n’ont vraiment rien fait ?
M.C.- Au début, vraiment rien, non. Souvenez- vous des discours sur la « petite grippe » et l’inutilité des masques. Puis, quand la catastrophe s’abat sur l’Italie, à notre porte, Macron déclare, le 6 mars encore : « Nous ne renoncerons à rien. Surtout pas aux terrasses, aux salles de concert. » Et il fait voter le 15 mars ! Ce retard est la cause principale de la propagation chez nous ; le mathématicien français Laurent Lafforgue, que j’ai interviewé, le démontre, chiffres à l’appui. Même durant la première quinzaine de mars, nos gouvernements ont adopté des « mesurettes » au lieu d’appliquer les méthodes qui avaient donné de bons résultats ailleurs.
Le DR.- Comment expliquez-vous ce refus de l’Occident ?
M.C.- J’ai formulé cinq hypothèses et je crois que ces facteurs se combinent, mais il faudrait une commission d’enquête pour en juger :
N° 1. L’arrogance occidentale : pas question d’écouter les Chinois et autres Asiatiques, nous sommes à l’abri. Richard Horton, directeur du Lancet, met ce facteur en avant. « Les gouvernements occidentaux, et particulièrement les États-Unis, essaient désespérément de détourner l’attention de leurs propres erreurs catastrophiques. Nous avons assisté à une énorme manifestation de sinophobie, de racisme contre la Chine, de la part de nos gouvernements, mais aussi de nos scientifiques. Cette arrogance est responsable de dizaines de milliers de morts. »
N° 2. L’incompétence : nos dirigeants n’ont pas l’esprit scientifique et n’ont pas fait l’effort de comprendre l’impact de la progression géométrique exponentielle qui mènerait à la catastrophe si des mesures de prévention radicales n’étaient pas prises tout de suite.
N° 3. L’impréparation : comme on n’avait rien préparé sur le plan des masques, tests et autres équipements, il était très difficile de mettre en route les bonnes mesures et on l’a caché pour ne pas être discrédité et ne pas créer la panique.
N° 4. L’économie : on craint en testant massivement de découvrir trop de contaminés et de devoir arrêter les entreprises. Chaque pays, engagé dans la grande bataille de la concurrence internationale, craint des pertes de profits qui l’affaibliraient dans cette compétition. La carte des décès en Lombardie correspond exactement à celle des régions où le patronat a forcé à travailler alors que le virus était déjà très répandu. Des firmes comme Amazon ont obligé à travailler alors que leurs sièges enregistraient de nombreuses contaminations. Et en Belgique, une entreprise contrôlée sur deux ne respecte pas les mesures de précaution, mais il n’y a pas de sanctions.
N° 5. Les dirigeants occidentaux peuvent d’autantmoins admettre l’efficacité de la Chine qu’ils sont en guerre froide contre ce pays. Bien conscients de son efficacité économique supérieure (même s’ils n’en comprennent pas les raisons), bien décidés à maintenir l’hégémonie de l’Occident sur le monde, ayant déjà engagé une guerre froide menée par les États- Unis et globalement suivie par l’Union européenne (malgré certaines réticences pour raisons commerciales), l’Occident a entamé une guerre globale de l’information contre la Chine. Depuis des années, tout ce qu’elle fait est mal, ses fautes, réelles ou inventées, sont soulignées, ressassées, mises en évidence comme l’expression d’une dictature totalitaire et d’un nouvel impérialisme qui menacerait de nous coloniser. Comment alors pourrait- on reconnaître que ce pays, après des hésitations et erreurs initiales, a bien mieux protégé sa population face à la Covid, qu’on aurait dû s’en inspirer et coopérer au plus vite pour diminuer le nombre de morts ?
Le DR.- Vous parlez d’impréparation ?
M.C.- Depuis 2003, tous les experts nous avertissaient : « Une pandémie est inévitable, on ignore seulement quand elle surviendra ». Immunologues et virologues, grandes revues médicales et même les services de renseignements US et français nous disaient : Préparez en quantité les masques, les tests, les respirateurs et un grand plan de bataille. Ils ont parlé dans le vide. En 2020, nos pays n’avaient pas de masques, pas de tests et aucun plan. Ce fut l’improvisation totale. Nos gouvernements néolibéraux ont négligé des investissements qui ne rapportaient rien. Pire, au lieu de renforcer notre système hospitalier, ils l’ont affaibli et livré au business. Heureusement que notre Sécurité sociale et l’engagement héroïque de nos soignants ont permis de limiter les dégâts. La comparaison avec les USA est frappante.
Le DR.- Est-il encore possible de remédier à cette situation; d'éviter au moins qu'elle ne s'aggrave ? Si oui, comment ?
M.C.- Il faudrait ouvrir les archives, cesser de protéger les fautes commises, instaurer une commission d’enquête réellement contradictoire et ouverte à toutes les analyses, envoyer des missions d’enquête dans les pays qui ont bien presté. Bref traiter la population en adultes qui ont le droit de savoir. Mais pour cela il faudrait aussi passer du mode « guerre économique » au mode « coopération humanitaire ». Il est scandaleux qu’en pleine pandémie, les États-Unis, lâchement suivis par l’UE, aient renforcé leurs boycotts et sabotages économiques contre Cuba, l’Iran, le Venezuela (où ils ont même tenté d’organiser une invasion armée et un coup d’État !). Cela a tué beaucoup de gens. Mais comme vous le savez, on veut nous maintenir dans cette ambiance de guerre froide alors que le virus ignore les frontières.
Le DR.- Une campagne assez répandue de « covido-sceptiques » a lieu notamment sur les réseaux sociaux. Ils nient toute gravité à la pandémie. Le film « Hold Up », énorme succès d'audience, semble séduire pas mal de monde. Qu'en pensez-vous ?
M.C.- J’ai eu juste le temps de répondre à sa pseudo-analyse avant d’envoyer à l’imprimeur. Ce film part de questions justifiées, escamotées par les médias. Mais il apporte de mauvaises réponses, antiscientifiques. Malheureusement, on nous enferme dans un faux dilemme : ou bien croire la version officielle sans poser de questions ou bien croire des charlatans. Or, cette crise montre précisément qu’il faut arrêter de « croire ». C’est de science que nous avons besoin. Et elle exige le débat démocratique sans tabous, la stimulation des échanges et des bonnes controverses pour analyser tous les phénomènes humains et trouver des solutions aux problèmes. Marx et Engels l’avaient bien compris. Einstein aussi dans son célèbre article de 1949 démontrant que le capitalisme était dépassé car incapable de résoudre ses problèmes.
Le DR.- Comment expliquez-vous la montée du « complotisme » ?
M.C.- C’est un phénomène courant en période de grave crise et d’angoisse. Mais je pense que nos autorités l’ont elles-mêmes renforcé. En commençant par minimiser et mentir sur les masques, les tests et les causes de notre impréparation. En donnant des directives qui se contredisaient. En refusant de dire qu’une solution simple existait puisque certains pays obtenaient de bons résultats. En répétant les bobards de Trump et Pompeo sur la Chine au lieu de coopérer. En adoptant une com anxiogène et souvent infantilisante. En réprimant les contestations sociales et en prenant des mesures liberticides inutiles comme Macron. En censurant les infos gênantes, voire même en diabolisant Cuba et le Venezuela. Tout ceci cachait les fautes de nos gouvernants néolibéraux et déplaçait la responsabilité sur les citoyens « pas assez disciplinés » (alors que nos populations globalement ont été très responsables et solidaires). En refusant d’ouvrir le débat médiatique. Tout ceci a alimenté le courant complotiste et négationniste.
Le DR.- Et le vaccin ? Pourquoi depuis le début de la crise met-on l'accent sur le vaccin et pas sur le traitement de la maladie et ses symptômes ? Quid de la variété des offres ? Leur concurrence estelle seulement du domaine commercial ?
M.C.- Mon livre analyse les multiples fraudes et tricheries du Big Pharma, la corruption révélée par divers scandales concernant Pfizer, Merck, Sanofi, Astra- Zeneca, etc. Effectivement, la question du vaccin est polluée par des intérêts commerciaux. Alors que les recherches doivent énormément aux fonds publics, on privatise d’énormes profits et on reporte les coûts (risques d’effets secondaires) sur le public, donc sur les contribuables. La recherche scientifique, le contrôle des médicaments et vaccins, l’industrie pharmaceutique, et l’ensemble des soins de santé au Nord et au Sud : seul le service public peut être intègre et efficace ! Les multinationales ne sont pas la solution, elles sont le problème. Il faut imposer le débat à ce sujet d’autant que les experts nous annoncent d’autres pandémies qui peuvent survenir très vite. Nos médias font une énorme promo pour les multinationales pharmaceutiques occidentales alors que des vaccins peut-être moins risqués, ont été produits par d’autres pays. J’y ai consacré une émission 'Michel Midi' avec le chercheur Johan Hoebeke. Conclusion : pas du tout anti-vaccin, mais prudence !
Le DR.- Un livre désespérant ?
M.C.- Mon livre se conclut par un chapitre « Une solution était possible ». Cette pandémie nous a apporté des leçons précieuses sur notre société, notre économie, notre écologie. Elle souligne l’urgence de repenser notre système et beaucoup de gens se sont posé ces questions avec intensité. Rien n’est jamais écrit d’avance, vous le savez, et tout dépendra de l’engagement de chacun là où il est, pour faire échec aux censures et développer ces débats. Alors, je peux espérer que mon livre n’aura pas été inutile.
Propos recueillis par Vladimir Caller
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