Julien Assange : victime de la trahison et de l'indécence
Qualifier de "vendu", comme le font nombre d'Equatoriens, le si mal prénommé président d'Equateur pour sa décision de livrer Julien Assange n'est pas si exagéré. En effet, Lenin Moreno lui-même semblait en donner des indices lors de son allocution télévisée deux jours après l'arrestation du lanceur d'alerte, où il annonçait que l'Equateur recevra une importante somme d'argent : "L’Équateur -disait-il- a obtenu 10,2 milliards de dollars de crédits de la part d’organismes internationaux, principalement le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, avec lesquels le gouvernement précédent avait rompu". Montant qui intègre des contributions venant de plusieurs entités financières comme la Banque mondiale, l’Agence française de développement (AFD), la Banque européenne d’investissement (BEI), la Banque interaméricaine de développement (BID).
Confirmant sa déférence envers ses nouveaux mentors, Monsieur Moreno présentait ainsi ce geste financier : « Nous allons recevoir plus de 10 milliards de dollars à des taux inférieurs à 5 % en moyenne et sur des durées de jusqu’à 30 ans ». Très content que son pays soit ainsi soumis pendant 30 ans au FMI et avec des taux "à moins de 5 %" alors que le monde de la finance connaît partout des taux à moins de 2 % et parfois même nuls. Et il conclut : «Nous avons vécu des temps difficiles, mais le fait que le monde ait confiance en nous et nous croie, démontre que nous sommes sur la bonne voie ».
C'est la "voie" qui lui fut dictée par Monsieur Mike Pompeo, le patron de la CIA qui déclarait en avril 2017 "Nous ne pouvons plus permettre à Assange de profiter des valeurs de la liberté d'expression pour les utiliser contre nous. Lui donner l’espace nécessaire pour nous écraser avec des secrets mal acquis, est une perversion de ce que défend notre grande Constitution. Ça c'est fini maintenant!" . Presqu'au même moment, le Procureur Général des Etats-Unis, Jeff Sessions, déclarait "Arrêter Assange est une «priorité» pour les États-Unis"
L'arrestation d'Assange n'est donc que la résultante de cet indécent mariage du fric et de la force brute. Mesure accomplie sans le moindre scrupule. Ainsi on a vu que c'est la police anglaise elle-même qui, violant toutes les normes de la diplomatie internationale, a pénétré dans le siège de l'ambassade pour extraire, manu militari, ce dissident de la pensée unique. De son côte la justice anglaise ne fut pas moins soumise. Elle ne tarda pas plus de deux heures pour inculper la précieuse proie et faire aussi les premiers pas qui conduiront à son extradition vers les Etats-Unis où on ne pardonnera jamais à Julien Assange de s'être permis de faire connaître au monde la nature criminelle des interventions américaines en Afghanistan et en Irak; les connivences de Mme Clinton avec les djihadistes et leurs usages d'armes chimiques; les conspirations contre les gouvernements de la Syrie et du Venezuela, etc.
Les anglais, outre leur indéfectible soumission aux politiques de la Maison Blanche, ont aussi des fortes envies de vengeance contre le militant australien. Wikileaks avait concouru à ce que la Cour Internationale de Justice déclare illégale, ce 25 février, la domination coloniale anglaise sur l'archipel de Chagos dans l'océan Indien et dont la population fut expulsée, à la demande des Etats-Unis, pour construire une gigantesque base militaire. Domination qui dure depuis 54 ans. Et voilà qu'Assange, un des artisans de cette décision de justice se retrouve maintenant aux mains de ces procureurs sans garantie d'un traitement équitable et susceptible d'être soumis aux techniques modernes de torture psychologique. Nills Melzer, le Rapporteur spécial des Nations Unies s'était déjà inquiété des conditions de sa détention à l'ambassade équatorienne.
A ce contexte alarmant s'ajoute la nouvelle arrestation de Chelsea Manning, la personne 'source' des révélations diffusées par Assange. Elle est soumise maintenant à des énormes pressions pour que la nature de l'accusation contre ce dernier puisse être définie comme des 'actes d'espionnage' ce qui pourrait aggraver sa condamnation allant jusqu'à la prison à vie. Malgré les énormes pressions subies, Manning résiste et, donnant une belle leçon de courage, répète sans cesse "the decisions were my own" (c'est moi seule qui ai décidé) dégageant ainsi Assange de toute responsabilité sur l'origine des secrets dévoilés.
Impossible enfin de ne pas toucher un mot sur le geste de l'actuel président équatorien. Si le personnage est plutôt insignifiant, son geste de trahison, et ses conséquences, sont énormes. Elu comme candidat du mouvement fondé par Rafael Correa, il avait rapidement montré sa déloyauté envers le programme de gauche qu'il s'était promis de suivre. Mais ici, avec la livraison de Julian Assange à la féroce vindicte des organes de répression anglo-saxons, il atteint le sommet de l'indécence et de la trahison. Quel contraste avec le courage de Correa qui, résistant à toutes les pressions, accorda la protection au militant persécuté, de Chelsea Manning, seule dans sa cellule, mais debout face aux interminables interrogatoires et de Julien Assange, sorti totalement blême de son enfermement car privé quasi totalement de soleil; mais portant une lumière de courage et de dignité qui ne s'éteindra pas facilement.