Jeremy Corbyn et le boulet du Brexit
Les élections en Grande-Bretagne
Le Parti travailliste a perdu les élections en raison des controverses sur le Brexit. En 2017, il avait réussi à écarter ce sujet adoptant la même position que les conservateurs, à savoir qu’il convenait de respecter le résultat du référendum et de quitter l’UE. Mais deux groupes d’influence sont parvenus à affaiblir cette position en 2019 : d’une part le patronat britannique et la City de Londres, opposés réels au Brexit et partisans d'un « Brexit seulement de nom », selon lequel le Royaume-Uni quitterait l’UE tout en continuant à suivre ses règles, notamment celles sur le marché unique et l’union douanière; et d’autre part la jeunesse, et plus particulièrement la jeunesse aisée et universitaire, globalement favorable, au maintien du pays dans l’UE.
Chacun de ces groupes dispose de moyens pour influencer la ligne du Parti travailliste : le premier via l’aile droite du parti – la majorité des députés viennent de l'ère Blair-Brown– , le second grâce à un afflux d’activistes portant un discours de gauche mais généralement pro-UE. Tous deux ont pu influencer la campagne avec des degrés variés de sincérité et de cynisme grâce au mot d'ordre « Le vote du Peuple » en faveur d'un deuxième référendum. Mais, pourquoi un second référendum serait-il respecté alors que le premier ne l’aurait pas été ?
L’une des différences entre ces groupes est que, pour l’aile droite, pousser le Parti travailliste vers une position pro-européenne ouvrirait la voie à une issue gagnant-gagnant : celle d'éviter l'arrivée d’un gouvernement réellement de gauche au pouvoir et la consolidation de l’aile gauche du parti, tout en empêchant ou, du moins en atténuant, le Brexit. Pour les nouveaux activistes, il s’agirait au mieux d’un gagnant-perdant : le Royaume-Uni resterait dans l’UE, mais menaçant les chances du Parti travailliste sous Corbyn.
Dans les faits, ces deux groupes ont donné l'image d'un parti confus et mal à l’aise concernant le Brexit. Une fois au pouvoir, le parti négocierait un « meilleur » traité qui préserverait les droits des travailleurs ainsi que les systèmes de santé publique et de protection sociale, puis organiserait un second référendum pour choisir entre ce "meilleur" traité et l’option de demeurer dans l’UE ; lors de la campagne, les membres du parti pourraient choisir leur camp mais Jeremy Corbyn, resterait neutre. Il a été dur d’expliquer cette logique et de répondre à des questions : « Donc, Corbyn va négocier un bon traité, mais il ne va pas recommander aux gens de voter pour ce "bon" traité? » Cette approche ambigüe avait un profil opposé à la clarté du message de Johnson « Get Brexit done » (« Achevons le Brexit »).
Il est probable que la direction du parti n’a eu d’autre choix que ce compromis, afin d'éviter la défection des parlementaires de l’aile droite. En tout cas, l’establishment britannique a réussi à empêcher la victoire d'un candidat de gauche radicale tout en isolant Corbyn et assurant la sortie imminente du Royaume-Uni de l’UE : un gagnant-perdant pour la droite et un perdant-perdant pour la gauche pro-européenne.
Pour la gauche favorable au Brexit, les résultats sont aussi négatifs à cause de la défaite travailliste. C’est seulement avec des politiques progressistes, que l'on pourrait profiter de la sortie de l’UE. Avec la nationalisation des chemins de fer par exemple, mesure contraire à la législation européenne. A plus long terme, avec un véritable Brexit, on pourrait profiter d'une liberté accrue pour mettre en œuvre des politiques socialistes.
D’autres thèmes ont été utilisés pour tenter d’ébranler Corbyn. Ceux-ci ont pu avoir un certain effet mais ont été moins décisifs que la question du Brexit. Les principaux d’entre eux étaient les accusations mensongères d'antisémitisme et les fausses allégations d’irresponsabilité fiscale or le programme travailliste était budgétisé et ne ferait que ramener le Royaume-Uni parmi les pays aux dépenses sociales moyennes, comme la France ou l’Allemagne.
À présent, la question est de savoir si cette défaite sera utilisée pour interrompre la transformation progressiste du Parti travailliste telle qu’elle a été observée depuis 2015. Jeremy Corbyn n’a pas pris la décision de démissionner sans consulter, comme l’avait fait Ed Miliband ; il a annoncé qu’un nouveau chef du parti serait nommé avant les prochaines élections. Bien que la gauche se soit sensiblement renforcée suite à l'élection de Corbyn à la tête du parti en 2015, il n'est pas certain qu'on puisse lui trouver un successeur ayant sa maturité politique. Il est à espérer qu’un tel candidat émergera au cours de l’élection du chef du Labour.
Reste une question concernant l'avenir des nouveaux adhérents : persisteront-ils dans la promotion d'une ligne progressiste, ou bien se retireront-ils déçus d’avoir été manipulés, par le fait que leur position pro-européenne a servi à saper leur engagement envers les nationalisations, le soutien aux services publics et l’internationalisme progressiste ? L’attitude à adopter résultera des promesses de campagne de Johnson "s'habillant" en travailliste et promettant allègrement de construire des hôpitaux, de logements, et de financer le système de santé publique sans tomber sous la mainmise étatsunienne. Nous devrons militer pour le tenir responsable de ces promesses et exiger qu’elles soient réalisées. A défaut, nous disposerons de la légitimité pour contester son mandat.