Ludo de Brabander, porte parole de VREDE : "Le militarisme ne tolère pas la vérité"

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La période de grâce qui suivit la fin de la Deuxième Guerre mondiale fut de courte durée. Très rapidement ladite « guerre froide » s'est installée, et fut même bien chaude pendant la guerre de Corée. Contexte qui encouragea le militarisme, le renforcement de l'alliance entre le monde de la finance et celui de l'industrie des armements que le président Eisenhower définissait comme le "complexe militaro-industriel". Face à cette évolution, des opinions publiques inquiètes se sont investies pour organiser la lutte pour la paix. Ce fut le cas chez nous avec la création en mars 1949 de l'Union belge pour la défense de la paix, UBDP (de Belgische Unie voor de Verdediging van de Vrede, BUVV dans sa version flamande). Cette dernière, devenue Vrede, est très active dans la lutte pour la paix et la dénonciation des fauteurs de guerre et leurs mentors.

À l'occasion de ses 70 ans (exactement en même temps que ceux de l'OTAN, ce qui n'est pas du hasard), le Drapeau Rouge se plaît à recevoir son porte-parole, Ludo de Brabander.

 

Le Drapeau Rouge.- Quel bilan de Vrede à cette occasion ? Quels sont pour vous les moments le plus importants de l'activisme pour la paix de votre organisation ? Et ses initiatives les plus réussies ?

Ludo de Brabander. Lorsque notre organisation a été fondée, nous étions au début de la guerre froide; l'affrontement entre l’Est et l'Ouest avait provoqué une course aux armements sans précédent, il y avait plus de 70 000 armes nucléaires dans les années 70. Depuis sa fondation, la lutte contre les armes nucléaires domine l’ordre du jour de notre organisation. Un premier succès pour le mouvement de la paix a été la signature du "Traité de non-prolifération" à la fin des années 60 après des années de mobilisations et une pétition (l’Appel de Stockholm) du Conseil mondial de la Paix, dont le BUVV était membre, qui a récolté des millions de signatures dans le monde. Dans les années 70 et 80, le mouvement de la paix a amené des millions de personnes dans les rues du monde entier, et ce non seulement en protestation de l'agression des États-Unis contre le Vietnam mais aussi contre l'implantation de missiles en Europe. C'est ainsi que le 23 octobre 1983, la résistance contre cette menace planétaire a provoqué la plus grande manifestation jamais organisée dans notre pays. Ces mobilisations ont contribué à la négociation du Traité INF destiné au démantèlement par les États-Unis et l'URSS d'une catégorie de missiles capables d'emporter des charges nucléaires. En 2003, la mobilisation contre la guerre en Irak (2003), coordonnée par Vrede Asbl et le CNAPD, a été également un grand succès. Malheureusement, les manifestations de millions de personnes dans plus de 600 villes dans le monde n'ont pas pu arrêter la guerre. Mais dans notre pays, la pression du peuple a contribué à ce que notre gouvernement ne marque pas son accord avec la politique de guerre américaine en Irak. Vrede a toujours défendu la solidarité avec les mouvements de libération en Afrique, en Amérique latine et en Asie et a exprimé son opposition au soutien des dictatures ou à la mise en place d'interventions militaires. Aujourd’hui la solidarité avec le peuple palestinien, les mouvements d'émancipation kurdes ou les Sahraoui constitue l'un des axes de nos activités. Ce n'est pas un combat facile, mais je crois que nous contribuons à la sensibilisation de la population à l'importance de la défense de leurs droits.

Le D.R.- Septante ans, c'est quand même une longue vie ? Pourtant pas prêt à prendre la retraite ?

L.D.B.- Non, malheureusement, le Mouvement de la paix est plus que jamais nécessaire. Pendant un moment, on a espéré que la fin de la guerre froide entraînerait également un désarmement durable. Mais depuis le milieu des années 90, les dépenses mondiales d'armement ont à nouveau augmenté et nous sommes entrés dans une nouvelle course aux armements entre les grandes puissances. Notre devise reste plus que jamais « désarmer pour se développer ». C'est notre principale raison d'être.

Le D.R.- Quels sont pour Vrede les scénarios prioritaires dans la lutte pour la paix aujourd'hui en ce qui concerne les guerres en cours ?

L.D.B.- Surtout ces dernières années, la militarisation a pris des proportions importantes. Sous l'impulsion de l'OTAN et de l'Union européenne, nous sommes soumis à une forte augmentation des budgets de défense. D'ici la fin de l'année prochaine, le secrétaire général de l'OTAN, Stoltenberg, prévoit que les États membres européens de l'OTAN dépenseront 100 milliards de dollars de plus par rapport à il y a 5 ans. L’OTAN est responsable de plus de la moitié des dépenses militaires mondiales, cela représente vingt fois plus que "notre adversaire", la Russie. Cet argent doit servir, entre autres, à transformer davantage notre équipement militaire en forces d'intervention. Cependant, nous avons vu comment ces interventions ont complètement déstabilisé l'Afghanistan, l'Irak et la Libye, et ont conduit à la naissance de groupes terroristes. En réalité, de nombreux conflits violents surviennent sur une base socio-économique. Dans un monde où l'écart entre riches et pauvres se creuse, nous n'avons pas besoin d'armes, mais d'une politique qui réponde aux besoins humains. Mais les grandes puissances et les pays qui cherchent à en devenir, ne sont intéressés que par la défense de leurs intérêts économiques. La politique commerciale, dont le commerce des armes, la politique financière,... font des victimes au quotidien et alimentent les conflits. Nos armées ne sont pas là pour parvenir à la paix comme le prétend la propagande militaire, mais pour sauvegarder des intérêts géostratégiques. L'OTAN est un bras militaire d'un bloc économique qui a pour but la défense des privilèges de l'élite politique et économique au pouvoir.

Le D.R.- Le président Trump, suivant les diktats du Pentagone, a décidé d'annuler le traité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire signé en 1987 par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev. Quelles conséquences pourront avoir ces décisions ?

L.D.B.- Il est difficile de le prévoir, mais l'annulation de l'accord INF a comme résultat que la porte est désormais ouverte pour l'installation de nouveaux missiles nucléaires à courte et moyenne portée en Europe. Selon la nouvelle doctrine nucléaire américaine, il faut également développer des armes nucléaires dites "déployables", c’est-à-dire à la mobilité allégée. C'est une évolution dangereuse qui ouvre la boîte de Pandore. Nous sommes à la veille d'une nouvelle course aux armes nucléaires dangereuses. Un nouveau traité NEW START doit être négocié entre les États-Unis et la Russie d'ici le début de 2021, mais Trump a déjà fait entendre qu'il n'avait pas envie de le prolonger. Cela signifierait également qu'il n'y a plus de restrictions sur les armes nucléaires stratégiques. N'oublions pas que sous Obama, il a déjà été décidé d'investir 1 000 milliards de dollars dans la modernisation de l'arsenal nucléaire américain au cours des 30 prochaines années ! D'autres pays investissent également dans de nouvelles armes nucléaires, même si cela va à l'encontre du traité de non-prolifération.

Le D.R.- Le 27e sommet de l'Otan qui vient de conclure à Londres, en plus de ses conclusions habituelles associant le destin de l'UE à celui de l'OTAN, a, comme nouveauté, pris la décision de présenter l'espace sidéral comme le cinquième domaine opérationnel de l'OTAN, aux côtés de la terre, de l'air, de la mer et la cybernétique. Que vous inspire cette extension de la vocation de l'Alliance ?

L.D.B.- C'est une illustration de comment la militarisation se développe. L'OTAN affirme que l'ajout de l'espace en tant que cinquième zone opérationnelle à côté de l'air, de la terre, de la mer et du cyber est nécessaire à la défense de l'Alliance atlantique. L'argument est qu'il y a environ 2 000 satellites circulant autour de la Terre, dont la moitié proviennent de pays de l'OTAN. En réalité, l'OTAN veut accroître sa domination militaire. Deux semaines après le sommet de l'OTAN à Londres, Trump a donné son feu vert à la création d’une Force Spatiale avec les mots: « Notre sécurité nationale est sérieusement menacée. C'est pourquoi la domination américaine dans l'espace est absolument essentielle. »

Le D.R.- Des spéculations apparaissent concernant une soi-disant nouvelle volonté d'autonomie du président Macron par rapport au militarisme étasunien. Ses rencontres avec Poutine sont mentionnées comme preuve. Pourtant, c'est bien Macron qui avait réussi à convaincre Trump de bombarder la Syrie en avril 2017, de le dissuader de retirer entièrement ses troupes de la Syrie ; et il est l'animateur principal de la création d'une armée européenne. Quel crédit donneriez-vous alors à cette "évolution" ?

L.D.B.- Macron est le plus grand défenseur d'une Europe militarisée de manière autonome. À son initiative, 9 pays européens, dont la Belgique, ont signé une déclaration d'intention pour la mise en place d'une initiative d'intervention européenne. Entre-temps, ils sont maintenant 13 pays, dont la Grande-Bretagne, de sorte que ce pays reste impliqué dans la politique militaire européenne même après le Brexit. Pour Macron, cela doit conduire à la création d'une armée européenne qui opère indépendamment de l'OTAN. Les relations entre Trump et Macron ne sont pas vraiment bonnes; par contre, ses relations avec le Pentagone son excellentes. Macron a également déclaré à la veille du sommet de l'OTAN à Londres que l'alliance est dans un état de « mort cérébrale ». Macron voudrait que l'Europe se manifeste mieux en tant que superpuissance militaire, ce qui la confronterait automatiquement à la Maison Blanche. En même temps, nous constatons que les relations entre l'OTAN et l'Union européenne se rapprochent de plus en plus. À mon avis, nous ne devons pas perdre de vue le rôle et l'importance de l'industrie militaire européenne, qui joue déjà un rôle crucial dans la militarisation de l'Union européenne. C'est à l'initiative de l'industrie militaire, un secteur économique important en France, qu'un fonds européen de défense a été mis en place pour le développement conjoint de systèmes d'armes. Pour la première fois, des fonds européens seront également investis dans la recherche et le développement des armements. Une tendance dangereuse.

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Le D.R.- L’Otan a fini par confirmer que la Belgique abrite des armes nucléaires américaines sur son sol, plus exactement dans la base militaire de Kleine-Brogel. Décision dont, malgré sa gravité, la population du pays ne fut jamais informée et à propos de laquelle elle ne fut jamais consultée. Par ailleurs, cette décision n'a pas été confirmée par les autorités! Ne croyez-vous pas qu'il est urgent de mobiliser l'opinion publique pour exiger le départ de ces engins de mort de notre territoire ?

L.D.B.- Vous avez raison de dire que la mobilisation contre les bombes nucléaires américaines dans notre pays est urgente. L'administration Obama a décidé de renouveler les bombes B61 installées en Belgique, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie. Les avions de combat belges qui devraient lancer ces bombes nucléaires, si cela était décidé en temps de guerre, doivent également être remplacés. Il est scandaleux que les gouvernements des pays où ils sont déployés n'admettent pas officiellement que ces bombes existent. Si un député de notre pays pose une question à ce sujet, le ministre en question répond toujours qu'il ne peut ni confirmer, ni nier l'existence d'armes nucléaires dans notre pays. Il s'agit d'un choix délibéré car il rend impossible un débat politique ouvert. Donc, on en parle peu dans les médias et il n'y a guère de prise de conscience ou d'indignation du public. Nous ne savons pas non plus si, contrairement aux centrales nucléaires, des mesures de sécurité existent en cas d'accident avec ces armes dangereuses. La présence de ces bombes ne sert pas la sécurité. Elles sont dangereuses et font également de notre pays une cible en temps de guerre. Vrede a décidé de renforcer une campagne contre les bombes nucléaires dans les années à venir. Nous espérons que nous obtiendrons le soutien d'autres mouvements sociaux, comme c'était le cas dans les années 70 et 80.

Le D.R.- L'occultation d'infos si graves me conduit à vous poser une question sur la situation du journaliste Julian Assange, emprisonné à Londres et susceptible d'extradition aux États-Unis. Puni justement pour avoir dévoilé des crimes de guerre, notamment. Ne croyez-vous qu'au-delà de sa personne, cette répression nous annonce un large projet de répression de la liberté d'être informé ?

L'emprisonnement de Julian Assange est une autre honte absolue. Son seul soi-disant crime était, en effet, d'exposer des crimes de guerre et d'informer l'opinion publique sur le vrai visage de la guerre en Irak mais aussi en Afghanistan. Son travail était important dans la lutte contre la propagande de guerre. Il suffit de regarder les récentes révélations du Washington Post qui confirment que la population est fortement induite en erreur en Afghanistan et que la guerre est un échec majeur à tous les niveaux. Le militarisme ne tolère pas la vérité. Avec Edward Snowden et Chelsea Manning, Julian Assange est le symbole de la lutte pour la liberté d'expression. Il est donc incompréhensible que les grands médias ne défendent pas Assange, même s'ls n'ont été que trop heureux d'utiliser les informations qu'il avait diffusées.

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