Les syndicats sont-ils à la hauteur de la révolution qui vient ?
Un accord interprofessionnel dont la pauvreté fait peur, face aux changements qui nous attendent.
Un AIP sans éclat et sans vision, semblable aux précédents
En février 2019, un projet d’accord interprofessionnel (AIP) a été conclu entre organisations syndicales et patronales, pour les années 2019 et 2020. Même si ce projet a été rejeté par une majorité de la base de la FGTB, il est mis en œuvre dans des conventions au Conseil National du Travail. Seul point d’achoppement, pour la FGTB : la norme d’augmentation salariale de 1,1%, jugée trop basse, surtout pour les plus bas salaires.
C’est vrai que cette marge d’augmentation salariale est ridicule en comparaison du creusement des inégalités et de la stagnation des salaires sur la dernière décennie. Mais pouvait-on vraiment obtenir beaucoup mieux dans ce cadre de négociation ?
Ce qui frappe, c’est que cet AIP 2019-2020 ressemble à tous les précédents : un article sur le «pouvoir d’achat », un autre sur les fins de carrière (mécanismes de RCC/prépension notamment), un encore sur la mobilité, un peu de flexibilité supplémentaire et pour finir une partie sur la liaison des allocations au bien-être Ce point d’ailleurs, ne devrait pas faire partie de l’AIP ; il s’agit d’un autre thème de concertation que le patronat lie toujours à l’AIP. La ruse est évidente et consiste à prendre en otages les allocataires sociaux pour se donner un meilleur rapport de forces dans la négociation de la marge d’augmentation des salaires des actifs. On piège ainsi les travailleurs avec leur sentiment de solidarité pour les allocataires sociaux.
Quand est-ce qu’on parlera des vrais enjeux ?
Mais quels sont les grands enjeux du moment ? La transition vers un système social et économique ne détériorant plus l’environnement et ce dans le respect de la justice sociale et de la démocratie. Comme le rappellent avec détermination les manifestations de jeunes ou de gilets jaunes, le monde est en crise. Et quel que soit le scenario choisi, il implique une transformation radicale de nos modes de production et de consommation.
Ne serait-ce que pour poursuivre l’objectif européen de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 ( et l'on sait que c'est insuffisant), il faut revoir fondamentalement les méthodes et l’organisation de la production des biens et services, les formes de mobilité et l’utilisation de l’énergie. Cela implique de prendre des décisions fondamentales dès maintenant et de planifier les changements socio-économiques qui se produiront nécessairement dans ces douze années.
Oui, on peut dire que le gouvernement n’en fait pas assez, mais il n’est pas le seul.
Qui, pourtant, prétend, par la concertation sociale, tracer le cadre économique ? Les organisations patronales et syndicales, l’accord interprofessionnel en définissant les lignes directrices sur les deux années suivantes. Et que retrouve-t-on en termes de mesure pour contrer la dégradation de l’environnement ? Rien, à part une minable augmentation de 64 à 70% de la part remboursée par l’employeur lorsque le travailleur se rend au travail en transports en commun. On n’arrive même pas à 80% (ce qui permettrait la gratuité pour le travailleur vu l’intervention de 20% de l’Etat via le système du tiers payant).
On aurait pu espérer, par exemple,
- Une perspective économique, répertoriant les secteurs économiques qui devront se transformer et ceux qui vont monter en puissance
- Un plan de reconversion des travailleurs des secteurs en déclin vers les secteurs où cette main-d’œuvre sera très vite indispensable : trajectoires de recyclage des compétences, passerelles pour que les travailleurs puissent se former et changer de secteur sans interruption de leur revenu, etc.
- Des engagements drastiques en termes de mobilité et de transports, à la fois pour mettre en place des cycles de production impliquant moins de transports de marchandises et diminuant les déplacements polluants de travailleurs.
On dit, par exemple, qu’il nous faut isoler 3% des bâtiments existants chaque année. En deux ans, cela fait 6% du bâti. Est-il normal qu’un effort aussi important ne soit même pas mentionné dans l’accord interprofessionnel ?
En fait, il faut croire que personne, ni organisations syndicales ni organisations patronales, n’ait lancé ce débat.
On comprend que les dominants n’aient pas envie de parler de révolution
Que les organisations patronales ne soulèvent pas la question, on peut le comprendre. Le camp des employeurs est le camp dominant ; comme tout dominant, son intérêt est que rien ne change ; et si les choses doivent changer, mieux vaut pour lui attendre que la situation pourrisse, qu’on en arrive à une situation de crise, dans laquelle il est trop tard pour remettre tout à plat, pour imaginer un monde différent, qu’on en soit au « sauve qui peut » général et que la seule planche de salut soit de s’en remettre au plus solide, au plus fort, soit aux dominants. Attendre la crise pour être en mesure de dicter ses conditions.
Comme en 2008, lorsque la crise financière menaçait le système dans ses fondements et que la seule voie qui paraissait praticable fut de sauver le système financier coupable de la situation pour que, quelques années après, il soit encore plus puissant et dicte ses conditions aux Etats. Incontestablement ce sont les travailleurs qui ont payé la crise de 2008, par l’austérité et la modération salariale généralisée, pendant que les profits capitalistes s’emballaient de plus belle. Les gilets jaunes nous le disent : pas question que les travailleurs paient aussi la crise environnementale.
Paradoxalement, les dominés non plus …
Les organisations syndicales ne peuvent pas jouer les belles endormies. A défaut de mettre la question sur la table, les employeurs et les propriétaires du capital soit n’en feront pas assez (et nous mèneront droit dans le mur pendant qu’ils iront se réfugier dans leurs villas à l’abri des éléments), soit ils décideront eux-mêmes du cadre des changements à venir, ou les deux à la fois. Et cela se fera alors nécessairement sur le dos des travailleurs, à coup de restructurations sanglantes (ils pourront même invoquer la force majeure !), de chômage (pour intempéries !), de faillite de la protection sociale, de maladies et de famine.
On peut toujours se dire qu’après la catastrophe on rebâtira un monde meilleur. Mais il vaut mieux refuser de se laisser mener à la catastrophe et refuser qu’il faille des millions de victimes avant de changer le système.
Il y a une révolution économique qui vient, c’est inéluctable. Il faut qu’elle soit aussi une révolution sociale. Il y aura sans doute beaucoup de syndicalistes dans les rangs des révolutionnaires. Mais ils feraient bien de ne pas attendre sagement que, du haut des organisations syndicales, on leur donne le signal de la révolution. Au risque de s’épuiser dans une routine dépassée, comme Giovanni Drogo devant le désert des Tartares.