COUPE DU MONDE AU QATAR : DU PAIN, DES JEUX, DU FRIC ET DES MORTS
Le Qatar, qu’en est-il ?
L'État du Qatar est un émirat du Moyen-Orient d'une superficie de 11 586 km2, situé sur une petite péninsule s'avançant dans le golfe Persique, et qui a une frontière terrestre avec l'Arabie saoudite. Sa capitale est Doha, sa langue officielle l'arabe, et sa monnaie le riyal qatarien. Avant 1930, le Qatar était essentiellement une région de pêche spécialisée dans les perles de culture, activité qui va péricliter au profit de la perle japonaise. Dans les années 1940, la découverte du pétrole va complètement transformer l'économie du pays. Aujourd’hui les ressources principales du Qatar proviennent des exportations de pétrole mais surtout de gaz naturel dont il est devenu le cinquième producteur du monde après la Russie, les États-Unis, le Canada et l'Iran.
Depuis l'indépendance du pays en 1971, le Qatar est dirigé par la famille régnante Al Thani qui continue de détenir seule le pouvoir sur un pays qui est en quelque sorte sa propriété privée.
Actuellement le chef de l’état est l’Emir Tarnim ben Hamad Al Thani qui gère le pays en s'appuyant sur sa famille (en arabe l’emir est celui qui donne les ordres. Emir est dérivé du verbe amara (commander). Le Qatar demeure une société patriarcale où l'homme décide de tout. Ainsi, dans certaines familles, les femmes ne sont pas encore autorisées à sortir seules. Les mariages restent souvent arrangés et la mixité, est loin d'être la norme. La population compte 335.000 « quataris » de pure souche et 2,2 millions ressortissants étrangers (90%) à qui le gouvernement qatarien refuse tout accès à la nationalisation.
Le pays abrite l’énorme base militaire américaine d’Al-Udeid, qui constitue le siège de du « Centcom » (le commandement des forces américaines au Moyen-Orient), qui héberge 10.000 soldat américains et 13.000 militaires qataris, Français et britanniques.
Le Qatar est un pays musulman qui s’inspire du wahhabisme, un courant défendant une interprétation rigoriste de l'islam dans sa forme du 7e siècle, accusé d'inspirer l'idéologie djihadiste défendue par Al-Qaïda et l'État islamique (Daesh). Une certaine liberté de culte est admise en faveur des travailleurs étrangers et des touristes, à condition que la pratique religieuse reste discrète et s'abstienne de tout signe extérieur ostentatoire. La liberté d'expression peut entrainer la condamnation à la prison à vie comme celle du poète qatarien Mohammed al-Ajami.du fait des critiques qu'il avait formulées contre le gouvernement du Qatar lors de la Conférence de Doha de 2012 sur les changements climatiques. Dans le domaine de la vie privée, le Qatar applique la charia (la loi musulmane stricte ou « voie à suivre ») qui interdit toute relation sexuelle hors mariage, ou extraconjugales, et expose les homosexuels à la peine de mort. Les châtiments corporels dont la flagellation restent d’application et la suppression de la lapidation n’est pas établie.
Un Mondial du fric et du luxe
Dès 2010, le choix du Qatar pour organiser la grand-messe du ballon rond de 2022 a suscité de vives critiques dont des personnalités, comme l'ancien footballeur Eric Cantona. Ces critiques concernent notamment les droits de l’homme et la démesure d’un projet de prestige bien loin des impératifs de sobriété énergétique indispensables pour faire face au changement climatique. Dans un pays où la température peut atteindre 50 degrés, la climatisation des stades ouverts est une véritable ineptie. Le coût global est estimé à 200 milliards de dollars US, un montant 20 fois plus élevé que ce qui a été estimé pour le précédent championnat de 2018 en Russie. 10 milliards ont été utilisés à la construction des 8 stades, le solde étant consacré à étendre le réseau routier, agrandir les aéroports, construire des hôtels de luxe et un réseau de métro de 76 km, des travaux que certains assimilent à la construction d’un « deuxième pays » dans le premier.
Pour répondre à cette gageure, en une décennie plus de deux millions de travailleurs migrants sont venus travailler au Qatar, provenant principalement d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh ou encore du Sri Lanka des Philippines ou du Kenya. Depuis longtemps, le Qatar comme d’autres pays du golfe, exploitent le désespoir de la jeunesse du tiers monde en se présentant sous l’image d’un eldorado du désert. Mais derrière ce qui n’est qu’un mirage propre au désert, le sort réservé à ces travailleurs est particulièrement tragique.
Les damnés du désert
Véritables damnés de la terre, ces travailleurs affirment avoir été exploités et maltraités, victimes de promesses de salaires non tenues et obligés de se cotiser pour loger dans des logements de fortune, voire des camps, où jusque quinze personnes s'entassent dans des chambres dépourvues de climatisation et d’électricité. Entre l’interdiction de quitter le pays, des périodes de travail interminables sans congés, par des chaleurs qui atteignaient parfois 50 degrés, ils ont fait face à un véritable calvaire pour un salaire minimum d’1,20 euro de l’heure. Le montant de ces aumônes est révoltant face aux coûts exorbitants des billets d’accès aux stades construits par ces travailleurs, des prix allant de 840 euros au minimum pour un match du premier tour à près d’un million d’euros pour un forfait de 10 matchs dans une suite privée… Ajoutons que parmi ces travailleurs migrants occupés principalement dans la construction, on note également un grand nombre de femmes qui travaillent comme domestiques chez des qataris. La grande majorité de ces femmes affirment travailler sept jours par semaine, en moyenne seize heures par jour, elles dénoncent des violences physiques et morales assorties d’agressions sexuelles qui se révèlent monnaie courante. Tous ces travailleurs migrants furent soumis à la « kafala », un statut proche du ser-vage où le salarié est placé sous la tutelle d'un « Kafeel » (parrain), généralement son employeur auquel il appartient et qui détient souvent illégalement son passeport. La médiatisation internationale des conditions de travail inhumaines sur les chantiers du mondial a poussé l'émirat à entreprendre certaines réformes. Depuis 2020, la « Kafala » est officiellement abolie et la poursuite du travail est interdite lors-que la température dépasse les 40 C. Toutefois, les syndicats et le droit de grève restent interdits et toutes contestations des travailleurs les expo¬sent à la prison ou au renvoi dans leur pays d’origine. Les réformes promises sont loin d’être appliquées et le Qatar a récemment refusé de créer un fonds d’indemnisation pour les travailleurs migrants tués ou blessés sur ses chantiers.
Morts au champ d’honneur du travail pour la gloire du sport …
Au-delà de ce qui précède, une enquête du journal britannique « The Guardian » nous révèle qu’entre 2010 et 2020, 6750 travailleurs migrants sont décédés sur les chantiers du Qatar, soit plus de 12 décès par semaine. Ces chiffres sont loin d’être définitifs car le Kenya ou les Philippines n'ont pas communiqué le nombre de leurs ressortissants décédés. Les autorités qataries gardent pour elles toutes les statistiques en minimisant le problème et en criant parfois au racisme face aux arguments des organisations syndicales ou humanitaires.
L’enquête nous apprend que 70% des décès étaient classés comme « morts naturelles » ou « arrêts cardiaques », deux hypothèses peu crédibles pour des travailleurs qui avaient entre 30 et 40 ans. Il ressort des nombreux témoig¬nages que la première cause de ces décès concerne les conditions de travail de personnes qui sont appelées à travailler sur des chantiers 14 heures par jour, 7 jours sur 7, sous de très fortes chaleurs.
Pourtant, selon Nick McGeehan, de l'ONG Fair¬Square, « si les travailleurs migrants partaient tous brutalement du pays, l'économie qatarie s'effondrerait dans la minute. »
Après la mort la désillusion
Pour la famille des travailleurs décédés, le rêve d’une vie meilleure se transforme souvent en cauchemar. Vu l’absence d’un fonds d’indem¬nisation, elles sont souvent obligées de vendre leurs biens ou de s’endetter pour rembourser les 4.500 dollars de frais que leurs proches décédés avaient empruntés pour payer les couts de leur migration au Qatar. Il en va de même pour les frais de rapatriement du corps des défunts. Pourtant, le Qatar est l’un des pays les plus riches du monde ; il a non seulement les moyens, mais aussi l’obligation, de faire beaucoup mieux pour protéger ses travailleurs migrants.
Sport ou business
Si le mondial a suscité l’indignation légitime d’une partie de l’opinion publique, la réaction bien-pensante des grands de ce monde est beaucoup plus frileuse. En déclarant qu’il ne fallait pas « politiser le sport », Emmanuel Macron a purement et simplement refusé de participer aux discussions sur les conditions de travail et les droits de l’homme au Qatar. Cette frilosité peut s’expliquer quand on sait que le Qatar a investi 12 milliards d’euros en France, une petite partie des plus de 330 milliards de dollars d'actifs que ce petit émirat du Golfe persique détient à travers le monde.
Dans la bouche du président français, la dénonciation de la politisation du sport sonne creux, car ce sont précisément les politiciens comme Macron et C° qui contribuent à le politiser en le soumettant à des considérations géopolitiques qui bafouent toutes ses valeurs fondamentales au nom d’une marchandisation capitaliste qui détruit tout.